Le désert s’étendait comme un énorme lion assoupi, et de jour son pelage était de la couleur du curcuma en poudre. Mais de nuit la lune pâlissait ses flancs de cendre, couleur des rêves morts. Très peu de choses poussaient dans le désert, hormis le sable, qui proliférait sans cesse. Çà et là, un puits d’eau boueuse, un arbre portant treize feuilles, pouvaient séduire un rare voyageur. Les créatures indigènes étaient peu nombreuses et se déplaçaient généralement après le coucher du soleil.
Quelque part à l’ouest de cette étendue sauvage gisait un vaisseau.
Comment il était parvenu en ce lieu, au beau milieu du sable, même ceux qui l’avaient vu ne pouvaient en décider. L’opinion courante voulait que ce navire eût échoué ici quelques millénaires auparavant, avant qu’une mer qui occupait alors la région eût été magiquement absorbée par la terre. Le vaisseau était ornementé, sculpté, doré, avec une proue en lis et une poupe semblable à une queue de poisson, avec deux mâts et une triple rangée de rames. Par une bizarre propriété du vaisseau ou des poussières du désert de concert avec ce genre de choses, sa coque avait été momifiée jusqu’aux deux voiles et il avait été transformé en galère de sel.
En dessous, un lac allongé d’eau claire était bordé de colonnades de hauts palmiers fit limité par des bosquets d’acacias, de figuiers et de lilas.
En cet endroit, plusieurs pistes et routes antiques avaient convergé, mais les sables les avaient beaucoup érodées. Un petit temple dédié à un dieu de pierre se dressait au-dessus de l’oasis. Entre le sanctuaire et le vaisseau de sel, séquestrée dans un jardin, se trouvait la maison aux yeux verts de Djalasil.
Avant sa mort, la mère de Djalasil, qui était sorcière, avait placé de nombreuses protections sur cette maison, pour que sa fille unique pût y vivre en toute sécurité. Ce qu’avait fait Djalasil jusqu’à l’adolescence. Elle était servie par trois vieux domestiques, qui avaient été ceux de sa mère, et elle voyait rarement d’autres personnes. En attendant, elle s’occupait grâce à la bibliothèque et à la vie du jardin. Pourtant, durant la soirée, elle restait parfois assise des heures entières à regarder fixement à travers les panneaux de tourmaline, tantôt vers l’est, puis l’ouest, le nord ou le sud. Les yeux verts comme sa maison, Djalasil n’était ni heureuse ni malheureuse pourtant ; de temps à autre, le regard fixe, elle prenait sa harpe et inventait de brèves chansons sur un mode mineur.
Traversant le désert, arriva une bande de jeunes nomades.
En ce temps-là, les enseignements du prêtre-magicien Dathandja connaissaient une nouvelle vogue dans certaines régions de la terre. Sa croyance, à la fois cosmique et précise, avait une simplicité flexible qui, habituellement, ne tardait pas à être jugulée et compliquée par ses adeptes, ou ceux qui en avaient adopté des bribes. Aucun des jeunes nomades ne l’avait jamais vu ou n’avait entendu à la source l’une de ses paraboles. Ils avaient été séduits par la liberté physique qu’il préconisait, ainsi que la liberté d’errance et de dénuement presque total. Ils possédaient également une certaine gentillesse, une créativité et des capacités de guérisseurs : de plus, aucun d’eux n’avait jamais commis le mal ou, plus précisément, n’avait redouté le mal. Leurs âmes étaient pourtant plus jeunes que celle de Dathandja qui, de toute façon, avait eu deux vies en une.
Le chef de ce groupe portait le nom de Joreb. Comme Dathandja lui-même, il avait le poil et le front bruns, fait que Joreb n’avait pas omis de remarquer. Il était par ailleurs tanné par le soleil et avait les yeux de la teinte d’un fleuve qui envahit la plaine. Il marchait avec le courage et la fierté que la santé et l’intelligence peuvent conférer, et ses camarades le suivaient joyeusement, aussi heureux de ses qualités que des leurs.
Ils allaient là où le terrain les conduisait. Ils découvraient une colline et la grimpaient, une vallée et ils y descendaient. Ils tombaient sur les restes d’une route dans le sable et ils les suivaient.
De jour, ils allaient à grands pas, se reposant uniquement en plein midi, où ils le pouvaient, à l’ombre d’une roche, d’un arbre ou de leurs manteaux.
Lorsque la nuit refermait la terre et le ciel, ils faisaient un feu, car ils récupéraient plantes et coquilles sèches quand ils en rencontraient, et restaient assis sous la voûte immense du firmament de ce désert bourré d’étoiles comme un arbre fruitier et d’une lune proche et énorme comme une roue de charrette mais trouée d’ombres comme un crâne nu. Là, ils buvaient à leur réserve d’eau et mangeaient tout ce qu’ils avaient pu trouver à manger, tandis que les hymnes mystérieux des animaux s’élevaient sur des milles tout autour d’eux. Puis ils se racontaient des histoires et méditaient sur la réalité (ou l’irréalité) de la vie et du monde. Parfois, étant jeunes et pleins de vigueur, ils organisaient des courses, accomplissaient des exploits acrobatiques ou se lançaient des défis à la fois physiques et intellectuels.
Lors de leur troisième nuit dans le désert, alors qu’ils s’installaient près de la rue décrépite sous un arbre à sept feuilles, l’un des membres de la compagnie fit remarquer :
— Joreb, regarde, voilà un autre voyageur.
Joreb se releva et regarda par-dessus les dunes cendreuses. Effectivement, se découpant sur la lune montante, quelqu’un se dirigeait vers eux.
— Il est tout vêtu de noir. Pourtant il n’a pas l’air d’un prêtre, dit le jeune homme qui avait parlé le premier.
— Ses cheveux sont plus noirs que la nuit. Et sont-ce des étoiles prises dans sa cape ?
— La cape bat lentement, comme les ailes d’un aigle.
— Peut-être un mage, dit Joreb.
— Écoutez, chuchota un autre : le désert est devenu silencieux. Comme si gloutons et chacals retenaient leur souffle pour entendre...
— Messire, lança hardiment Joreb, tu es le bienvenu et tu peux te joindre à notre feu. Nous avons peu à manger, mais nous partagerons avec joie ce que nous possédons.
Le personnage marqua un temps d’arrêt à peu de distance de la route. La lune se trouvait maintenant derrière sa tête et rendait son visage difficile à discerner, hormis l’éclair sombre de deux yeux noirs. Ils étaient noirs comme les yeux de Dathandja, et encore plus noirs.
— Puisque vous m’invitez si courtoisement, je vais m’asseoir parmi vous. Quant à votre nourriture, un autre festin m’attend là où je me rends avant le lever du soleil. Je ne dérangerai donc pas le vôtre.
Sa voix était si excitante, si mélodieuse, et contenait une puissance si extraordinaire que même Joreb hésita. Mais un membre de la bande, le plus jeune peut-être, éclata d’un rire joyeux.
— Voilà une belle vantardise ! Nous t’en prions, messire, où, dans ce désert et cette nuit, as-tu l’intention d’aller festoyer ?
L’étranger bougea et se plaça sur la route. Le feu le prit dans un verre en or. Il avait la beauté et la présence d’un roi, ou qu’un roi devrait avoir. Toute la nuit lui appartenait, rien d’étonnant à ce qu’elle se tût à son approche, ou cherchât à lui offrir un festin.
— Où ? fit-il en souriant un peu à l’adresse du jeune qui venait de parler de vantardise, qui prit aussitôt la couleur de la lune.
— Mais voyons, sous vos pieds.
Il vint alors s’installer parmi eux près du feu, face à Joreb. Lequel s’assit à la hâte. Après cela, pendant un bref laps de temps, le silence fut tel que les flammes eurent des bruits d’os qui se brisent.
Mais l’étranger, ayant fait tourner ses bagues magnifiques sur ses mains de seigneur, dont les ongles étaient très longs, coupés au carré et recouverts d’argent, jeta un coup d’œil en direction du désert et dit d’une voix cajoleuse :
— Continuez votre musique, mes enfants.
Aussitôt explosa une telle tempête de ululements, de grincements, de sifflements et de pépiements sur trente ou soixante mille dans toutes les directions que chaque membre de la bande pieuse de Joreb sursauta et faillit perdre pied.
— Maintenant, dit l’étranger en reportant son regard sur Joreb, permettez-moi de me délecter de votre discussion philosophique.
— Mon seigneur, dit Joreb, qui ne connaissait ni la peur ni le mal, mais jugeait qu’il les entrevoyait, tu es, par ton apparence et ton état, assurément supérieur par la connaissance. Comment pourrions-nous faire preuve de présomption ? Ne serait-il pas préférable que nous t’écoutions. Ou que nous restions muets ?
L’homme éclata de rire. (Un ruisselet de velours capable de trancher l’acier.)
— C’est toi le plus sage, Joreb. Cela est-il dû à l’enseignement de ton mentor ?
— Les leçons de Dathandja nous sont imparfaitement connues. Pourtant, nous estimons son exemple.
— Vraiment ? Pourtant, il ne fut au commencement qu’un simple d’esprit et un causeur de torts immenses. Vous savez sans nul doute cela aussi.
— Cela se confond avec la somme de son message.
— Qui est ?
— Mon seigneur, dit Joreb en baissant ses yeux fluviatiles de ceux de l’étranger, qui ne ressemblaient pas du tout à des yeux mais plutôt au ciel ou à quelque espace au-delà du ciel, plus noir et plus brillant. Mon seigneur, je te demande de bien vouloir pardonner la restitution défectueuse que je vais faire du témoignage absolu et curatif de cet homme.
— Mais tu l’as déjà exposé à d’autres personnes.
Joreb, pris entre sa foi et sa sagacité, dut alors céder.
Il choisit la foi.
— Le fondement de cette doctrine est simplement le suivant : nous nous enchaînons. Même entravés par des chaînes, nous pourrions être libres, alors que, bien trop souvent nous nous chargeons lourdement dans des toiles d’araignées, nous nous rompons le dos, les yeux exorbités. Car, si Dathandja avait fait le mal, il fut capable d’oublier ses péchés et de n’en plus commettre, libre de faire le bien. Personne n’est incapable de changer, quoi qu’il ait fait, qu’il soit devenu, ou qu’il soit.
— Vraiment ? fit l’étranger. Vous me stupéfiez tout à fait.
Ce fut à nouveau le silence... sur toute la longueur et toute la largeur du désert, semble-t-il, comme si la moindre créature et le moindre grain de sable s’était transformé en granit.
Ajrarn (et il n’en était pas un seul qui, étant éduqué, ignorât désormais qu’il s’agissait d’Ajrarn) fit un petit geste à l’adresse du feu qui changea et devint d’un blanc extrêmement vif, comme si la glace y bondissait et y brûlait.
Ajrarn fit mine de ne pas lui prêter attention, tandis que les jeunes gens reculaient, et il annonça :
— En récompense de votre franche profession de foi et de la téméraire bravoure que vous avez ainsi manifestée, je vais moi-même vous offrir une parabole.
« Supposons, continua Ajrarn, qu’un homme trouve un vaisseau au milieu du désert. Il est probable qu’il pensera immédiatement : ″Il devait jadis exister en ces lieux un océan que le Peuple de la Mer, qui est composé de magiciens, rejeta pour quelque vilenie. Tout fut détruit, hormis ce vaisseau. Échoué ici, il s’est fossilisé et demeure un objet d’étonnement, une marque visible de l’impermanence des choses.″
« Mais supposons encore, murmura Ajrarn, qu’en réalité le vaisseau ait été déposé dans le désert sur la lubie d’un mage, qui l’a préservé dans le sable et le vent et lui a donné aussi une apparence d’antiquité. Et qu’il ait fait cela sans aucun autre but, peut-être, que de forcer celui qui observe cette œuvre à analyser la chose et en tirer une fausse conclusion. »
Le feu papillonna, rougit, reprit sa teinte appropriée. Parmi les arpents des dunes, un chat-huant miaula à l’adresse de la lune.
Nul n’osa parler après Ajrarn, sauf Joreb, mais seulement au bout de quelques instants, lorsqu’il sentit le regard du Démon posé sur lui :
— Ton enseignement, mon seigneur, sera grandement estimé. Et cela d’autant plus que c’est toi-même qui nous le donnes.
— Et quel commentaire t’inspire mon enseignement, ô étudiant de Dathandja le Prêtre ?
Joreb réfléchit. Puis il répondit :
— Au pays de mon enfance, un dicton affirmait : « La rose noire ne pousse nulle part. Croyons donc avec affection à la floraison de la rose noire. »
Ajrarn se tenait à une certaine distance. Les ailes de sa cape battaient lentement et les étoiles étaient accrochées dans ses fils ou ses plumes.
— Là où je vais festoyer, dit Ajrarn, les roses noires sont mises en guirlandes. Éclaire donc les gens de ton pays natal : « La rose noire fleurit. Ne croyez plus en la rose noire. »
Ceci dit, Ajrarn s’évapora et il ne resta plus qu’un nuage sombre et enflammé, qui s’enfonça aussitôt dans la terre.
Finalement, la bande de Joreb se releva brutalement et se mit à courir en tous sens dans son effarement. Mais Joreb resta assis au même endroit et plaça deux brindilles dans le feu.
— Joreb... qu’allons-nous faire ?
— Il n’y a rien à faire. Les démons existent. (Joreb eut alors un sourire et ajouta dans un souffle :) Nous n’avons donc pas besoin de croire en eux.
Djalasil, qui avait longtemps regardé à travers la tourmaline éclairée par la lune, dormait dans le matin brûlant.
La femme âgée qui était désormais sa dame d’atours entra et, en commençant à arranger la toilette de sa maîtresse, annonça :
— Ma petite sœur, en allant prendre de l’eau à la fontaine, a trouvé une compagnie de jeunes apôtres dans l’oasis.
— Ils sont les bienvenus, dit Djalasil d’un air absent, car elle avait eu des rêves étranges au lever du soleil.
— Ma petite sœur dit que c’est une bande agréable de jeunes gens. Ils s’émerveillaient devant le vaisseau de sel et n’avaient même pas vu cette maison derrière les acacias.
La dame d’atours de Djalasil était une femme qui devait avoir quatre-vingts ans et sa petite sœur venait d’en avoir soixante-treize.
— Ma dame, dit la sœur aînée, vous plairait-il que nous envoyions de la nourriture à ces dignes garçons, ou mieux encore, que nous leur servions un repas dans la cuisine ? Ce sont de saints hommes et il y a longtemps que nous n’avons vu de prêcheurs et de conteurs en ce lieu.
— Oui, fit Djalasil sous sa toile de cheveux clairs fins comme de la soie effrangée, que la femme peignait avec du bois de santal, et toujours sous le fardeau de ses rêves. Il y a trois ans qu’il n’en est passé par ici. Et j’ai oublié qui ils étaient.
— Rien qu’un petit marchand avec ses pauvres serfs. Et avant cela, deux réparateurs de pots qui ont eu des mots avec le gamin. (Le gamin était le portier, un adolescent de soixante-neuf étés.)
Devant un plateau d’ornements, que Djalasil déclina tous, il fut décidé que les deux sœurs, et le gamin, s’il le voulait bien, inviteraient les voyageurs à souper.
Plus tard, Djalasil apprit que la réception aurait lieu en plein air car, s’ils ne méprisaient point le confort de quatre murs, les saints voyageurs, s’ils le pouvaient, tâchaient de s’en passer.
En conséquence, au coucher du soleil, les deux femmes empruntèrent le sentier de l’étang, voilà, comme il était jugé approprié, soit en ces lieux, soit en leur jeunesse, tandis que le gamin s’appuyait sur sa canne.
Djalasil, qui n’avait guère prêté attention à la question, était assez heureuse qu’ils pussent avoir un peu de nouveauté dans leur vie.
Mais, tandis que la soirée avançait, les étoiles s’échappèrent de leurs prisons. Les lampes et les lucioles brillaient dans la trame des fourrés. Elle devint nerveuse. Finalement, prenant elle aussi un voile, Djalasil quitta la maison.
L’air était paisible et chargé des épices du désert, de la fraîcheur herbeuse de l’oasis et de son eau. Les lucioles scintillaient en fils dorés, comme elles le faisaient parmi les fleurs du jardin de Djalasil, introduisant en elle une nostalgie à laquelle elle ne pouvait donner de nom. Dans l’étang, qui devenait désormais visible entre les figuiers, s’étendaient les lumières de quatre ou cinq lampes.
Mais sous son sanctuaire, parmi le chant des criquets, le dieu de pierre sans visage ne lui donna aucun conseil et la jeune femme lui rendit la monnaie de sa pièce en ne lui prêtant nullement attention.
Elle se glissa jusqu’au bord sombre de l’eau. Elle était par nature réservée et il ne lui vint pas à l’idée de se présenter à eux en propriétaire des lieux. Elle préféra regarder de cet endroit où poussaient les lilas et naissait une source.
Les nomades pieux étaient assis avec les vieilles gens de la maison, mangeant, buvant et échangeant des plaisanteries comme s’ils faisaient partie de la même famille. (L’enseignement des nomades eût précisément dit cela.) De temps à autre, l’un des jeunes hommes racontait une histoire ou une anecdote, à signification religieuse ou non. Mais, comme Djalasil restait à côté de la source, ce fut le tour de Joreb.
Lorsqu’il se mit à parler, Djalasil le considéra avec une vive attention. La lumière des lampes donnait l’impression qu’il était en or et les ombres s’adressaient à ses cheveux, à ses yeux et à ses vêtements pour que cet or prît tout son avantage. Il sembla à Djalasil avoir vu Joreb plusieurs fois auparavant. Cela la dérouta, car elle n’avait pas souvent vu d’autres gens en dehors de son entourage habituel. Et parmi les étrangers qui étaient passés par l’oasis, aucun n’avait marqué sa mémoire. Elle ne comprenait donc pas comment elle pouvait l’avoir jamais vu, ou avoir entendu sa voix, qui racontait l’histoire de Dathandja ainsi qu’il l’avait apprise enfant. Finalement, elle imagina qu’elle l’avait vu dans son sommeil, qu’elle l’avait rencontré dans l’un de ses rêves.
Joreb acheva l’histoire étrange de Dathandja et, en jetant un regard à son auditoire, il ajouta :
— C’est ainsi que nous aspirons à cet idéal, mais sans trop de peine. Car la piété elle-même peut être utilisée pour enchaîner l’âme.
— Ceci signifie-t-il que vous êtes également libres de vous amuser avec les femmes ou les hommes, suivant vos appétits ? demanda la petite sœur de soixante-treize ans qui avait tendance à se montrer hardie.
Joreb éclata de rire.
— Madame, il n’est aucune interdiction en amour.
Tandis qu’il regardait autour de lui en disant ceci, le cœur de Djalasil sembla crier en elle : « Ah ! je pourrais te dire... »
— Car l’amour est la clé de toute vie, du corps comme de l’âme.
Son regard sembla alors sonder les lilas. Ses yeux parurent rencontrer ceux de Djalasil et s’enflammer, de telle sorte qu’elle vit leur couleur, qui était d’un gris semblable au sien, et aussi brun et argent comme le fleuve, couleurs qui, en débordant, pouvaient faire fleurir un désert.
Djalasil fut emplie de peur. Son cœur battit la chamade et ses membres se firent pesants. Mais elle s’en fut plus silencieusement qu’un fantôme.
Tôt le lendemain matin, Djalasil, qui ne s’était pas reposée de toute la nuit, appela sa dame d’atours.
— Eh bien, ces voyageurs vous ont-ils captivés ?
— Ma dame, ce fut un régal, assurément.
La servante passa un bon moment à décrire l’intérêt qu’elle, sa sœur et le gamin avaient éprouvé et le bénéfice qu’ils en avaient tiré.
— Je m’en réjouis pour vous et regrette que votre distraction n’ait duré qu’un soir.
— Non, ma dame, tu pourrais te tromper. Car ces braves garçons ont accepté de rester près de l’étang un jour et une nuit encore, car ils étaient desséchés par les sables.
— Ils ne sont donc pas partis.
Peu après midi, lorsque les trois quarts de la maison ronflaient, Djalasil se mit à arpenter son appartement. « Je n’ai jamais vu cet homme auparavant, il n’est rien pour moi. Je vais donc descendre discrètement, car ils doivent sommeiller sous les arbres. Il est probable que je ne pourrai le distinguer des autres jeunes gens. »
Elle se sentit très mal à l’aise en songeant cela et répugna à partir, de telle sorte que ses membres lui parurent plus lourds que le plomb et le fer à la fois. Mais elle partit malgré tout. Elle suivit le sentier qui descendait de la maison, recouverte de son voile, et avança comme une voleuse.
La majeure partie de la compagnie de nomades était allongée dans l’ombre des acacias, mais trois d’entre eux, dont Joreb, avaient décidé de se baigner à l’autre bout de l’étang. C’était un endroit isolé par les scirpes et les arbres. Djalasil avança comme une lionne. Avant de savoir ce qu’elle faisait, elle regarda à travers les joncs.
Elle vit donc Joreb, dans l’eau jusqu’aux cuisses, nu.
Ses cheveux étaient humides et retombaient autour de son visage et de son cou en boucles très noires. Les gouttes d’eau constellaient son corps bronzé comme des perles sur l’ivoire noir. Les gemmes de sa poitrine étaient pareilles à du cinabre. Des épaules à la taille, il semblait sculpté, tant ses proportions étaient impeccables. A la taille, il était droit comme une règle en chair entre deux lignes et, enveloppé dans les poils noirs de son aine, le serpent de sa virilité reposait, aveugle, innocent et endormi. Il se tourna alors sans avoir conscience qu’on l’espionnait et cueillit une gousse sur une branche au-dessus de lui. Dans son dos, la colonne vertébrale et les côtes coulaient sous la peau comme un fleuve sous l’ivoire.
Djalasil s’enfuit.
— J’ai été marquée par ce que tu m’as dit de ces jeunes gens, dit Djalasil à la servante la plus âgée. Celui qui, m’as-tu dit, a raconté la vie de leur maître... que ta sœur le mande auprès de moi au coucher du soleil. Je voudrais aussi entendre cette histoire.
— Comme le voudra ma dame, dit la femme, gonflée d’importance en voyant que ses louanges étaient aussi influentes.
Mais sa maîtresse parut alors aussitôt malade. Elle pâlit et trembla. Néanmoins, elle se baigna et se fit peigner avec du bois de santal. Elle se mit de la malachite sur les paupières et trempa ses ongles dans une laque rosée : ayant vu un homme nu, elle revêtait pour lui une robe semblable à une aile de papillon.
Joreb pénétra dans une pièce de la maison aux yeux verts. Elle donnait sur un jardin où poussaient des vignes et des rosiers, ainsi que des lilas, mais de manière plus complexe que dans le reste de l’oasis. Les fleurs et d’autres arômes rendaient l’air suave.
Sur un divan était assise la maîtresse des lieux, légèrement détournée, paraissant lire un livre à la couverture en jade fin.
— Ma dame, dit Joreb, moi et mes compagnons te remercions pour ta générosité, les repas de tes cuisines et la libéralité de ton eau. Que puis-je faire en retour ?
Djalasil déposa son livre, comme à contrecœur... car elle garda les yeux posés dessus.
— J’aimerais entendre parler de ta philosophie.
A son invitation, Joreb s’assit donc sur le divan qui lui faisait face et se mit à parler de tout ce que sa foi imposait. Il se montra tout à fait éloquent et, d’ailleurs, ayant affaire à une femme à la fois arrogante et timide, il manifesta tout le tact et toute la douceur indispensables. Mais il l’enjôla aussi par ses mots ; il s’efforça de pénétrer son cœur de la lumière de son enseignement. Car, comme bon nombre de ceux qui ont trouvé l’unique clé véritable de la vie, il désirait la donner au monde entier.
Tout en parlant, il put se réjouir de voir Djalasil réagir favorablement. Elle commença à le regarder, d’un air d’abord hésitant, puis interrogateur et enfin appuyé. Lorsqu’il faisait des allusions humoristiques, elle lâchait un délicieux petit rire enfantin. Lorsqu’il discourait d’aspects plus ténébreux, elle se rembrunissait. Deux ou trois fois, ses yeux s’emplirent de larmes, Joreb crut l’avoir émue, ce qui était exact, et ainsi lui avoir apporté de l’aide... ce qui était inexact. Malheureusement, tandis qu’il la poussait de manière aussi enjôleuse en s’imaginant la conduire vers la conscience, il se haussait à de telles hauteurs qu’elle avait l’impression qu’il avait découvert en elle quelque chose qui le charmait. Sa clarté et son éclat paraissaient jaillir en étincelles de la même source sauvage grâce à laquelle elle était illuminée. Un entrelacs d’énergies se tissa entre eux tel un filet enflammé. Djalasil put alors affronter son regard, fondre ses yeux aux siens sans peur mais avec une terrible excitation. Cependant, frappée par les vertus de son esprit et de son âme, elle voyait qu’il n’était pas uniquement beau de sa personne, un objet de désir, mais admirable en tant que tuteur face à son ignorance. Bref, elle tomba totalement amoureuse de lui. Mais en attendant, le matin s’en fut, midi passa au zénith, l’après-midi s’installa et Joreb, malgré force fruits, confiseries et vins, commença à éprouver une certaine fatigue sous ce regard inexorablement affamé.
— Eh bien, ma dame, il me faut maintenant te quitter. Le jour tire à sa fin.
Aussitôt, Djalasil fut projeté de son pinacle dans un abîme glacial.
— Je t’en prie, reste et dîne avec moi. Il me faut fournir une rétribution adéquate à ta gentillesse et tes leçons. Car je les conserverai précieusement dans ma mémoire.
Sur ce, Joreb, qui, notons-le, avait été flatté par son attention et le succès qu’il avait eu auprès d’elle, sembla hésiter. Comme si, dans le carrelage du sol, il contemplait soudain une fosse cachée sous un foulard.
— Hélas, madame, la coutume de notre société veut que nous prenions toujours ensemble notre repas du soir.
C’était un mensonge. Il ne fut pas heureux de devoir le faire et il lui en voulut.
Djalasil, inconsciente de son crime mais percevant sa froideur, détourna de nouveau les yeux et dit :
— Peut-être accepteras-tu de revenir ici plus tard dans la soirée, à l’heure qui te conviendra. Tu pardonneras ma requête, je le sais. Tu auras deviné que nous avons soif de conversations éclairées.
Joreb distingua alors nettement le piège et se cabra. Il éprouva une vague colère, car il lui sembla qu’on avait joué avec lui, qu’on l’avait dupé. Ce n’était pas la vérité de la vie que désirait cette stupide femme oisive.
— Je reviendrai si tu le désires, répondit-il très froidement. Mais je ne pourrai m’attarder. Demain à l’aube, nous devrons repartir, mes frères et moi.
Le cœur de Djalasil s’arrêta. Au même instant, elle sentit le mordant de son regard qu’elle ne put de nouveau affronter. Ses joues s’enflammèrent. Elle songea : « Il pense que je viens de lui faire une proposition malhonnête. » Elle détourna entièrement le visage et dit d’une voix hautaine :
— Je t’en prie. Ne te donne donc point cette peine. Pars quand tu le voudras. La servante doit-elle vous envoyer de l’argent ?
— Nous n’acceptons pas d’argent, fit Joreb d’une voix qui était un fouet.
— Oh, vous vous faites donc payer en nature ? En repas, par exemple. (Car elle était désormais suffisamment blessée pour contre-attaquer.)
— Ma dame, fit Joreb d’une voix de scorpion, je t’en prie, qu’il ne nous soit servi ni nourriture ni boisson, ce soir. Nous nous sommes trop délectés des plaisirs asservissants de la chair. Les figues des arbres et l’eau de l’étang nous suffiront et ils ne te coûteront rien.
Il la quitta sur ces paroles.
La nuit recouvrit le monde et, dans le jardin de Djalasil, les lilas et les myrtes furent gris, et chaque pétale des roses vermillon fut... noir.
« Restez éveillées », dit la nuit à de nombreuses créatures du désert, aux hiboux spectraux, aux renards au visage de loup. « Dormez », dit à l’humanité la nuit qui vint la chercher dans ses abris de sable, près des roches et des puits, ou dans les lits aux baldaquins de soie.
— Je ne peux pas dormir, dit Djalasil. La nuit est trop agitée. Elle résonne de bruits inaudibles. Elle glisse à mon oreille des paroles que je ne puis me rappeler. La lune reste béante devant moi. Les ombres sont tellement épaisses. Sous mes paupières, les couleurs montent et se fanent. J’ai mal. Je ne puis rester tranquille. Je n’arriverai jamais à dormir.
Puis elle s’endormit malgré tout et rêva de Joreb allongé auprès d’elle, la fixant de ses yeux fluviatiles.
Elle se réveilla, pleura et ne put se rendormir.
Avant le lever du soleil, annonça la sœur cadette, les jeunes gens avaient évacué l’oasis. Lorsqu’elle était descendue chercher de l’eau à la source, toute trace d’eux avait disparu. Quel dommage ! « Ils allaient voyager dans cette direction-là », déclara la sœur aînée. C’était leur chef qui le lui avait dit. Une ville se trouvait par là, et elle devait être idéale pour eux.
— Notre maîtresse se comporte bizarrement, confia plus tard l’aînée à la cadette. Je ne sais qu’en penser. Elle se refuse à manger, elle ne boit que du vin et de l’eau. Elle reste assise, la harpe à la main, mais elle ne joue aucune musique.
A midi, lorsque le soleil fut une pique fichée du ciel dans la terre, les trois quarts de la maison succombèrent aux ronflements. Un quart, Djalasil, le voile sur la tête, franchit la porte et suivit la piste vagabonde qui se dirigeait vers la ville lointaine.
Tandis qu’elle marchait, le soleil la frappait et le sable lui brûlait les yeux. Ses pieds étaient carbonisés et elle frissonnait.
« Il faut que je le rejoigne et l’implore de me pardonner. Assurément, assurément, je lui ai fait du tort et lui ai parlé de travers. Voilà ma faute. Je dois la réparer. »
Or, depuis le début, il existait une certaine discorde entre les jeunes hommes. La plupart d’entre eux avaient apprécié leur séjour à l’oasis du vaisseau, la bonne nourriture de la maison aux yeux verts.
— Le jeûne et l’abstinence peuvent aussi enchaîner, répétaient-ils à Joreb.
Mais il était déterminé. Le souper fut évité et, à la pâleur de la fausse aurore, ils se levèrent et quittèrent les lieux.
Avant la chaleur du jour, toutefois, ils trouvèrent refuge dans un ravin près de la route, à quelques milles de l’oasis, car la discussion avait ralenti leur pas. Ici, l’un des puits boueux contrasta avec le souvenir des eaux claires de l’étang. Et ils se remirent à grommeler à l’adresse de Joreb, qui finit par perdre patience.
— Retournez-y, si vous le voulez. Mais quant à moi, je ne le ferai pas.
Ils voulurent alors savoir pour quelle raison.
Après quelques efforts de persuasion, il le leur dit.
— Cette femme, qui n’avait rien de mieux à faire, voulait jouer à l’amour avec moi. Il n’y a pas de quoi se vanter. Cela m’a embarrassé.
Les compagnons de Joreb lui jetèrent des regards curieux.
— Mais enfin, tu n’as jamais éprouvé de répugnance envers les femmes.
De même qu’une pierre ou une feuille tombe, Djalasil était arrivée en cet endroit de la piste. Elle connaissait ce ravin et s’y était dirigée, assoiffée mais sans savoir la nature de sa soif. Elle avait surpris le murmure de leur conversation et s’était alors approchée, pensant uniquement entendre la voix de Joreb, boisson à laquelle elle aspirait encore plus que l’eau.
Elle l’espionna donc une troisième fois en secret et entendit ceci :
— Les filles que j’ai connues, je ne les regrette point, mais je les avais choisies. Celle-ci me prenait pour un fruit sur l’arbre et avait tendu la main.
— Voyons, Joreb, s’écria un autre membre de la bande, était-elle si laide ?
— Certainement pas. Mais la beauté n’est pas une excuse. Elle a deux yeux vert pâle semblables à ceux d’une chatte et aucun autre trait remarquable. Mais le pire est qu’elle vous regarde avec un air de vampire affamé. Vous savez, ce genre de femme qui vous fend les os pour en extraire la moelle. (Ils éclatèrent alors de rire, tout comme lui.) Repartons donc dès que le soleil aura quitté le zénith.
— Tu trembles de peur qu’elle ne te poursuive ?
— Silence, fit Joreb en riant encore. J’en ai trop dit.
— Pas du tout, fit Djalasil, mais en s’adressant à elle-même. Il convient que tu dises tout cela pour me guérir.
Mais elle n’était pas guérie. Elle erra à travers les sables pour s’éloigner de ce lieu et finit par s’asseoir à l’ombre d’une roche solitaire.
— Joreb, dit-elle, je t’aimais, je t’aime encore. Celle que tu dis avoir rencontrée n’était pas Djalasil. Car si tu l’avais rencontrée, tu ne l’aurais point dédaignée. Tu en as rencontré une autre qui portait ma peau. Et j’ai rencontré un autre homme qui avait la peau de Joreb, qui était plus doux et plus généreux que celui-ci.
La journée avança, elle sut que les jeunes gens avaient dû quitter le ravin et elle songea à revenir sur la piste et jusque chez elle. Mais elle pensa : « Toutes les régions sont maintenant semblables, car l’amour et le bonheur n’y sont pas. »
Elle pensa : « Même s’il était resté distant, s’il était devenu mon ami, cela m’eût satisfaite.
Puis elle songea : « Non, c’est son amour que je désirais. »
Bientôt, le ciel se fit rouge, et plus rouge encore, puis il devint noir et la lune se leva.
« Qu’il fait froid, songea Djalasil. Comme le vent siffle et gémit à travers la roche. »
Finalement, elle reprit la piste à travers les ténèbres. Un glouton traversa une fois son chemin. Elle lui adressa un sourire de tristesse. « Pourquoi les dieux m’ont-ils faite femme ? Qu’est-ce qu’une bête comme cela connaît de l’amour ? »
Une fois chez elle, Djalasil dut affronter un tollé général, dont elle ne tint point compte. Elle se rendit dans sa chambre et s’y allongea dans les ténèbres. Elle ne supportait pas la moindre lampe, car ses yeux avaient été blessés par le soleil. Même dans le noir, des pétales rouges tombaient devant sa vision. Et dans ses oreilles retentissaient et gémissaient sans cesse les bruits du vent parmi les rochers, mais ils se trouvaient désormais dans sa tête ; elle ne pouvait leur échapper.
Elle aspirait à la mort, mais elle n’avait pas le courage de s’y résoudre. Elle aspirait à la vie, mais elle savait que celle-ci devait lui être refusée.
« Mes jours ne seront que ceci. Avant, je l’ignorais. (Car elle s’était rendu compte qu’elle avait toujours chéri l’espoir ténu d’un changement.) Il représente le monde et le monde s’éloigne de moi. »
Quelque part dans la nuit, elle se prit à penser, malgré les lumières et les sons incessants, qu’il viendrait une heure où son amour aussi s’éteindrait et qu’elle serait aussi froide et amère que la lune. Elle ne serait plus alors que désert, sable et cendres.
Les jours passèrent en emportant un mois ou deux sur leur dos.
Un silence s’était installé dans la maison aux yeux verts. Elle n’avait jamais été bruyante, mais elle avait été animée. Maintenant, le vieux portier boudait dans sa loge, les deux vieilles sœurs allaient et venaient lentement ou restaient assises comme deux cannes appuyées contre un mur. La plus jeune créature de la maison commençait à s’étioler. Ils ne pouvaient plus tirer d’alimentation d’une Djalasil chaude et résineuse, attachée normalement à ses tâches et distractions. Ils ne trouvaient plus en elle qu’une vieille sorcière chagrine aux yeux enfoncés dans leur orbite ; sur le front de laquelle, entre les sourcils, était soudain apparue une ride verticale ; qui marchait sans aucune légèreté ; qui avait tous les maux d’une personne ayant deux fois son âge : douleurs et pincements dans les articulations, vision floue, perception de sons inexistants, insomnies, appétit d’oiseau. Comme elle était devenue ainsi et qu’ils ne pouvaient plus la considérer comme leur enfant, ils avaient en conséquence l’impression d’avoir également vieilli. Cela semblait s’être produit en l’espace de trois nuits. Un mauvais sort.
— Que faire ? disaient les sœurs. Si seulement sa mère était là.
Elles parlaient alors de la mère de Djalasil, qui les aidait à recouvrer leurs jeunes années. Elles mettaient Djalasil, sa maladie et sa tristesse, au placard.
Le long du jardin, les roses versaient leur sang. ,
Juste avant l’aube, la vieille sœur cadette, après les déconvenues d’un rêve, alla chercher de l’eau. En descendant dans l’oasis, elle vit une femme debout près du sanctuaire du dieu de pierre.
Cette femme était grande et d’un aspect remarquable quoique inexplicable. Car elle n’était vêtue que d’une robe grossière et ses pieds étaient nus. Pourtant, une vague de cheveux noirs jaillissait autour d’elle, brunis comme les boucles d’une impératrice. Et les longs ongles de ses mains avaient été recouverts d’une laque d’argent.
— Bon, que veux-tu donc ? dit la sœur cadette avec irritation. Si tu viens mendier, il faut que tu te rendes dans la cour de notre cuisine une heure après le lever du soleil. Peut-être aurons-nous quelques rogatons.
La femme éclata de rire. La sœur cadette, de peur, faillit lâcher sa jarre.
— Tu me prends donc pour une mendiante ?
La sœur cadette fronça les sourcils et lui jeta un regard louche. Les yeux noirs étaient aussi hautains que ceux d’un roi. Elle n’avait rien de la modestie ou du décorum passif de son sexe, cette femme.
— Qui que tu sois, bégaya la sœur cadette, je n’ai pas le temps de bavarder ici.
— Ni moi, d’ailleurs. Vois-tu ce vilain éclat à l’est ?
La sœur cadette regarda. Elle avisa les prémices de l’aube.
Lorsqu’elle se retourna pour le dire à la femme, il n’y avait plus personne, en dehors de l’antique pierre au-dessus de son autel.
— Puissent les dieux me préserver. C’était une démone ! s’exclama l’intelligente sœur cadette.
Elle cracha par terre et frotta la salive avec ses orteils, fit divers signes et psalmodia un charabia qu’elle avait dû apprendre dans son enfance.
La manifestation d’un démon dans l’oasis procura aux sœurs – et au portier, qui ne crut point à l’histoire et se gaussa généreusement – une journée bien remplie. Les vieilles femmes firent le tour de toute la maison en saupoudrant certaines herbes et en déposant çà et là un talisman. Le moindre orifice de la maison, la moindre porte, la moindre fenêtre de tourmaline furent badigeonnés de mixtures immondes. Même les vitres de la chambre de leur maîtresse furent vérifiées. (Djalasil, assise comme sourde et aveugle, ne parut point les remarquer.)
— Une bénédiction que sa mère ait été sorcière et qu’elle nous ait appris deux ou trois petites choses, se dirent-elles.
— Peuh ! s’écria le gamin en agitant sa canne.
— C’est bien d’un homme, firent-elles. Ignorons cette bête.
Tout compte fait, cette journée leur apporta bien des plaisirs innocents et, lorsque le soleil descendit à l’ouest, les sœurs se tapirent dans une salle au-dessus de la cuisine, regardant dans tous les sens par les fenêtres, prises entre une vive terreur et le contentement.
— Elle ne pourra franchir les sauvegardes si elle revient. Elle essaiera de faire un marché. D’aucune manière nous ne devons lui parler. Je me rappelle l’histoire d’une personne âgée qui avait demandé à un démon de retrouver la jeunesse. Et le démon lui avait dit : « Je te le refuse, mais tu ne vieilliras plus. » Et il l’avait tuée.
— Moi, je me rappelle l’histoire d’une femme hideuse à qui un démon avait donné une telle beauté que le monde entier tombait amoureux d’elle en la voyant, dit la sœur cadette. Même les lions et les tigres, ajouta-t-elle, toujours aussi coquine.
— Arrêtez vos jacassements, gronda le portier en dessous.
Il avait quitté la porte et était entré dans la cuisine, bien qu’il niât que ce fût à cause de la démone.
Le soleil ne tarda pas à se coucher. Le ciel brilla comme du vin dans une coupe dorée, puis pâlit comme une encre rosée dans une coupe de platine. Puis le ciel fut de la couleur de la lavande distillée et une brise fraîche courut à travers le jardin, légère comme un chat, tournant la tête de fleurs qui s’inclinaient.
— Oh ! Oh, regardez, là ! cria la sœur cadette.
A l’intérieur des sauvegardes, dans le jardin, se tenait la femme aux cheveux noirs, la démone, enveloppée d’un manteau sur lequel les étoiles apparaissaient exactement de la même manière que dans le ciel.
— Ouvrez votre fenêtre, dit la démone aux sœurs, mais peut-être autrement que par la parole. (Elles avaient conscience d’une musique admirable, silencieuse.)
— N’ouvrons pas la fenêtre, dit l’aînée.
Elles l’ouvrirent et se penchèrent en pépiant.
La femme leva les yeux sur elles, ses mains blanches et son visage paraissant luire et flotter sur les ténèbres qui s’amassaient, comme les fleurs blanches du jardin.
— Écoutez-moi bien, dit-elle. Vous allez me conduire sur-le-champ en présence de votre maîtresse Djalasil, qui est en cet instant allongée à se noyer dans le désespoir sur sa couche.
— Que veux-tu de cette pauvre fille ? pépièrent les deux sœurs.
— Lui donner ce que désire son cœur, répondit la démone.
— C’est un stratagème, dirent les sœurs. Il nous faut résister à ces câlineries. Nous ne devons pas bouger.
Elles se précipitèrent donc et la sœur cadette conduisit la créature démoniaque dans la maison et jusque dans la chambre de Djalasil, la sœur aînée les précédant pour annoncer la nouvelle arrivante.
Djalasil était allongée comme prédit, s’agitant sur son divan, en proie à une forte fièvre.
— Ma dame, dit la sœur aînée, quelqu’un est venu te réconforter.
La femme aux cheveux de nuit et aux yeux royaux entra dans la pièce. Là où elle se tenait, la lueur des étoiles et le clair de lune semblaient se fondre en un rideau de cristal.
— Sortez. Disparaissez.
Les sœurs sortirent et disparurent. Elles descendirent dans la cuisine pour rejoindre le portier et se tapir parmi les marmites en marmonnant et en faisant cliqueter leurs amulettes.
La femme se tenait dans son rideau de cristal et fit signe à Djalasil à travers toutes les collines de l’oubli.
— Retourne à la terre, dit Ajrarn. (Il pouvait prendre n’importe quelle forme : il avait choisi celle-ci.) Viens ici, cœur vaguant et claudiquant. Ne me rends pas impatient en me faisant attendre.
L’essence de Djalasil sembla alors l’emplir comme de l’eau. Elle déborda de ses yeux et, lorsqu’elle les ouvrit, elle vit ; de ses oreilles, et elle entendit clairement. Elle s’assit sur sa couche, les yeux fixes, sans savoir où elle avait été, où elle était revenue, qui était là avec elle, et elle se rappelait à peine qui elle était, d’ailleurs.
— Djalasil, dit Ajrarn avec la voix de la femme.
Djalasil se rappela toute chose. Son visage devint un foulard de douleur.
— Oui, dit le Démon d’un air songeur en la regardant. Ce sont là les vraies leçons de l’amour : la désespérance, l’angoisse, la tristesse. Les as-tu bien apprises, Yeux-Verts ?
Djalasil ne pouvait parler. Elle gémit. Mille discours, dix mille chants, habitaient cette note.
— Fort bien, quelle récompense estimes-tu devoir recevoir pour être devenue une telle érudite en cette école ?
Elle put alors répondre. Elle pleura.
— Il n’éprouvera jamais d’amour pour moi et je n’aime que lui, à tout jamais. Il est tout ce que je désire et tout ce que je ne puis avoir. Ma souffrance ne faiblit point. Elle me dévore. Je suis empoisonnée. Si seulement il m’avait aimée !
— Il le fera.
Un silence. Puis :
— Ne te moque point de moi, dit-elle.
Pourtant ses yeux brûlaient soudain. Ajrarn, même sous son déguisement, était ce qu’il était. Elle le crut. Nul n’eût pu douter, qui l’eût entendu répondre de cette voix magnifique et stupéfiante.
— Il est en toi une magie, le legs de ta mère. J’ai élaboré pour toi un sort qui, une fois jeté, te ramènera cet homme, comme un chien est attiré par une chienne. Les reins, le cœur, l’esprit et la chair... tout cela t’appartiendra : tu tiendras Joreb en laisse.
Djalasil haleta. Ses dernières forces semblèrent la quitter dans ce souffle. Sa tête s’abaissa comme celle d’une fleur qui va tomber.
— Donne-moi cela, si tu le peux. En retour, que voudras-tu ? Désires-tu mon âme ? Elle t’appartient.
— Ton âme. Trouve le moyen de la mettre dans une cassette commode, je l’emporterai.
— Et ensuite ?
— T’aider est un paiement en soi.
— Oui, dit Djalasil. (Son état d’exaltation était tel qu’elle voyait davantage que par les yeux.) C’est un acte mauvais que de suborner la volonté d’autrui. Et tu es le Mal, n’est-ce pas ?
La femme n’émit aucun commentaire. Elle se contenta de dire :
— Je vais te donner le sort qui te permettra d’obtenir ce que désire ton cœur.
Djalasil attendit avec méfiance, pâle et sévère.
— Descends dans ton jardin. Cherches-y l’ultime rose de la saison. Coupes-en la tige. Entaille-toi un doigt de la main gauche. Donne ton sang à la rose et qu’elle le boive. Prononce ces paroles : « Il n’existe en Joreb aucun amour pour Djalasil. Crois donc en l’amour de Joreb pour Djalasil. »
Un nouveau silence.
— Est-ce tout ? demanda Djalasil.
— Que voudrais-tu de plus ? Emporte la rose dans ta chambre. Pose-la sur ton oreiller. Tu verras un changement. Dans sept jours, il sera à ta porte.
— Et en supposant que tu aies menti ?
— Tu ne crois pas que je mente. Répète ce sort. Assurons-nous que tu as bien compris.
— L’ultime rose du jardin. La couper et m’entailler un doigt de la main gauche. Donner mon sang à boire à la rose. Dire : « Il n’existe en Joreb aucun amour pour Djalasil. Crois donc en l’amour de Joreb pour Djalasil. »
La fièvre l’avait abandonnée. Elle ajouta d’une voix macabre :
— Oui, tu ne mens point.
Mais elle était seule dans sa chambre.
Bientôt, Djalasil quitta la pièce. Elle descendit dans son jardin comme un fantôme. Le ciel était sombre, la lune dans un nuage. Elle repéra la rose, non pas grâce à sa forme ou sa couleur, mais grâce à son parfum. Elle coupa une chose, puis l’autre. Elle donna à la rose tout le breuvage du poison de l’amour. Elle prononça les paroles.
Elle retourna à son lit et posa la rose sur son oreiller. Elle plongea dans le sommeil et s’y enfouit, puis se réveilla avec le soleil. Et sur l’oreiller reposait la rose, qui n’était pas fanée mais noire comme un charbon.
Là où il le pouvait, il courait ; là où le terrain rendait sa vitesse impossible, il avançait à grands pas. Tout en marchant, il rejetait la tête en arrière et chantait, ou sifflait en couvrant les notes stipuleuses du vent du désert. Même de nuit, tant qu’il le pouvait, il avançait. Les animaux de l’étendue sauvage s’enfuyaient ou s’échappaient devant lui. Lorsqu’il s’étirait, épuisé, sur la cendre du sable, il rêvait d’elle. Les dunes devinrent le corps de la femme, la fine poussière coulait argentée entre ses doigts, pareille à ses cheveux. Dans les puits, il voyait ses yeux, endormis, éveillés. « Là où il le pouvait, il courait. »
Il était passé dans une ville... un tas de bâtisses... où lui et sa bande avaient fait halte. Il y avait eu des défections. Certains avaient faibli, succombant aux ruses de la ville, aux protecteurs qui les avaient reçus, nourris et noyés dans les boissons fortes, exploitant leurs capacités comme s’ils étaient des magiciens des rues. Les autres, aux opinions trop rigides, s’étaient opposés aux prêtres du lieu, avaient eu droit à la lapidation et avaient dû s’enfuir. Joreb avait vaqué à ses occupations normales. Il guérissait, il s’adressait aux foules des marchés. Il ne parlait point contre le temple de la ville, qui était moins corrompu que bien d’autres. Il résista aux séductions, aux querelles, aux fuites. Par l’enseignement, l’on n’imposait point l’assistance. Il voulait voir s’il était possible de reconstruire l’union de ses compagnons. Quant à lui, il se refusait à nier (car la négation était elle-même un piège) qu’il n’était plus léger mais uniquement agité. Il éprouvait sans cesse un curieux inconfort, comme s’il avait laissé inachevé quelque acte vital. Posant les mains sur les épaules d’un vieillard pour le soulager de ses rhumatismes, Joreb aperçut le caractère terriblement impressionnant d’un monde dont toutes les beautés, les laideurs, les joies, les triomphes et les maladies étaient l’œuvre du mensonge. Rien n’était réel et, pour cette raison même, l’illusion s’était transformée en granit pour falsifier d’autant mieux ce qui n’était point. Déplacer ces blocs de granit, tels que la maladie ou la douleur, était simple... mais alors l’abysse informe se révélait à ses pieds. Comme le vieillard redressait les bras en criant qu’il ressentait la chaleur, puis que sa souffrance l’avait abandonné, Djalasil connut un instant toute la terreur de quelqu’un qui se trouve à la dérive dans un espace incommensurable. « J’ai été un enfant qui joue avec le feu, dit une voix en lui. Maintenant que je vois qu’il brûle, comment oserais-je encore jouer avec ? »
Mais il demeura dans la ville, dans ses faubourgs, là où était cousu l’ourlet du désert. Le sable dérivait dans son domicile, qui était une bâche accrochée au bout d’une ruelle.
Petit à petit, certains des nomades revinrent vers lui, accompagnés par les pauvres, les malades et les enfants qui venaient quotidiennement s’asseoir sur le sol sablonneux sous la bâche. « Vite, hâtons-nous de reprendre notre vie errante. » Être statique n’était jamais sage. Les toiles d’araignées s’attachaient aux murs immobiles. Les hommes devaient voyager, car dans le mouvement se trouvait la semence ou du moins le symbole du progrès.
Mais alors, durant la nuit, la nuit de la bâche qui n’avait pas d’étoiles, quelque chose lui caressa doucement l’oreille, comme un pétale, un phalène. Il se leva d’un bond et sentit une chaîne dorée fixée à son âme par des rivets en acier.
C’est ainsi que l’illusion manifesta à son tour tout son pouvoir terrible et consolateur. Le granit était immuable. L’abysse, d’où n’importe quoi pouvait être appelé, s’évapora.
Il était heureux. Il était enivré par ce soulagement. Impuissant, Joreb, l’étudiant de Dathandja, lança un grand cri qui fit trembler la ruelle.
Il quitta la ville avant l’aube, sans parler à quiconque de son dessein, en étant lui-même à peine conscient.
Quelque part, comme il avançait rapidement, sous le miroir brûlant du soleil, il s’aperçut que c’était l’amour qui le poussait, le tirait, le propulsait. Elle, la femme dans la maison aux yeux de tourmaline, elle qui avait des cheveux de satin transparent. Il n’avait aucune idée de ce qui se trouvait après cet acte qui devait être la possession. Il l’avait vu dans ses yeux... non pas une faim, mais un appel, un désir... qui devaient refléter l’image dans les siens. Pour cette même cause il s’était détourné d’elle, l’avait chassée de son cerveau, l’avait exilée. Mais en vain. Elle s’était attachée sous son crâne.
L’amour était la clé de toute chose.
L’illusion était de granit, une montagne immuable.
Là où il le pouvait, il courait et filait.
Le septième jour, la rose noire s’émietta en suie. Il y eut un coup bruyant au portail. Dans sa chambre, Djalasil, dans une robe colorée, les cheveux peignés avec du bois de santal, de la pâte de malachite sur les paupières, resta assise à attendre.
Il pénétra dans son appartement comme un orage, une flamme noire, énergie masculine, et les vieilles femmes le laissèrent monter seul, comme si elles étaient au courant.
Elles rampèrent jusqu’à leur cuisine, comme si elles étaient totalement au courant.
— Te voici, dit-elle.
Il la vit, il vit qu’elle avait été dévastée par un besoin brutal. Il l’aima pour sa souffrance et sa pâleur, ses yeux verts, sa faim.
— Djalasil, dit-il.
Il s’approcha d’elle et la releva. Ses mains, qui en avaient guéri plus d’un et apaisé bien davantage, qui n’étaient pas étrangères aux peaux limpides des femmes, la serrèrent contre lui. Il l’enlaça, l’encercla. Il posa sa tête sur son bras et l’embrasa. Ses cheveux glissèrent sur ses poignets. Le contact de sa chevelure, de son corps contre son corps, le pouls de sa gorge, la fraîcheur de sa bouche, brisèrent les portes secrètes d’une sagesse dont il n’avait jamais rêvé. L’ayant à lui, il se posséderait. Elle était la clé. La montagne devait fracasser le firmament, ils en chevaucheraient les crêtes.
Il leva son visage pour la regarder. Ses yeux aussi étaient pâles et lointains. Peu lui importait. Il prononça toutes les paroles d’amour que le poète en lui, et dans tous les êtres humains, savait prononcer. Ils s’allongèrent sur son lit. Son aspiration pour lui, sa soif qui la torturait, palpables comme la soie, avaient refait la couche.
Il prit sa virginité avec la douceur et la prudence de l’amour, et avec la violence glorieuse de l’amour. Ils chevauchèrent les airs, fendirent le feu et les eaux, sombrèrent dans la proximité de la terre.
Lorsque ce fut terminé, dans le miel pareil à la mort des suites du plaisir, il la regarda penchée au-dessus de lui.
— Trop tard, dit Djalasil. Mon cœur est mort des blessures que tu lui as infligées. Si tu m’avais désirée dès le début, ah... que n’aurions-nous connu ! Le soleil et la lune, la terre et le ciel. Les étoiles seraient tombées. Mais j’ai trop souvent rêvé de toi. Tu n’es qu’une ombre et cette ombre n’est venue à moi non pas par amour, mais par un sort immonde de la démonie, qui hait tous les hommes et toutes les femmes. J’ai trop souffert et trop donné pour te posséder.
Il vit alors ses yeux tels qu’ils étaient, cruels et vides, ne désirant plus rien.
— Toi, dit-elle, toi. Tu aurais pu m’apporter le meilleur du monde et moi ; peut-être, j’aurais pu te donner un certain réconfort. Mais il est trop tard, tu es une ombre, tu es le jouet et le stratagème du démon. Joreb m’aime. Joreb me désire. Je ne crois donc plus en l’amour ni au désir de Joreb. Peut-être est-ce ma faute. J’ai fait de toi un dieu. Tu n’es qu’un homme.
Et de sous l’oreiller elle sortit le couteau avec lequel elle avait coupé la rose. Lui, tel un sacrifié enchaîné dans l’or, ne sentit que la montagne de granit posée sur lui, qui ne bougeait ni ne bouge.
— Dans ma chambre, dit-elle au portier, tu trouveras un homme mort avec une dague dans la gorge.
Le portier baissa le regard, comme s’il n’était que maussade.
Djalasil descendit à l’oasis. Au-dessus, le vaisseau de sel scintillait au soleil, et l’eau de l’étang brillait chaudement en dessous.
Elle ôta sa ceinture de galon vert, la noua à un acacia et s’y pendit.
Tout le jour, elle resta pendue à sa branche, et jusqu’au midi éclatant. Mais dans l’après-midi l’ombre vint la revêtir, la recouvrant d’un manteau blanc, lui bandant les yeux. A la fin, chaque trace de couleur se fondit dans le sol. Et la nuit recouvrit toute chose, noire comme une rose.